La schizophrénie est une maladie psychiatrique qui représente un enjeu crucial de santé publique. Une récente étude américaine suggère qu’il serait possible de prédire le risque de schizophrénie grâce à une stratégie innovante analysant des régions spécifiques du génome humain.
Schizophrénie : quels facteurs de risque ?
Touchant près de 600 000 personnes en France, la schizophrénie désigne une maladie psychiatrique qui se déclare le plus souvent pendant l’adolescence et se manifeste essentiellement par des hallucinations et des délires. Si les facteurs de risque de cette maladie sont essentiellement génétiques, il est nécessaire de préciser la compréhension de ce trouble et ses origines, dans l’objectif d’intervenir précocement pour en prévenir la sévérité.
Dans ce contexte, des chercheurs américains du Baylor College of Medicine ont analysé des régions spécifiques du génome humain. D’après le premier auteur de cette étude, le Dr Robert A. Waterland, les composants génétiques et environnementaux n’expliquent en effet qu’une petite partie des cas de schizophrénie, ce qui laisse penser que «d’autres facteurs, tels que l’épigénétique, pourraient également être importants». Mais qu’appelle-t-on exactement l’épigénétique ?
Sur la piste de l’épigénétique
Si la génétique correspond à l’étude des gènes, l’épigénétique s’intéresse quant à elle à l’étude des changements dans l’activité des gènes, c’est-à-dire à la façon dont ces gènes vont être utilisés ou non par une cellule. Un gène exprimé pour conduire à la synthèse de molécules constituant l’organisme peut l’être à des niveaux différents, ou bien peut être inactivé (ou réprimé), partiellement ou totalement.
À savoir ! Ces variations dans l’activité des gènes peuvent être transmises lors des divisions cellulaires. A la différence des mutations qui affectent la séquence d’ADN, les modifications épigénétiques sont réversibles.
Concrètement, ces modifications épigénétiques se matérialisent par un marquage moléculaire sur l’ADN ou sur des protéines qui le structurent. Les marques les plus communes étant l’ajout de groupements méthyle (-CH3) sur l’ADN. Ces modifications épigénétiques indiquent aux différentes cellules du corps quels gènes activer ou désactiver dans ce type de cellules.
Les marqueurs épigénétiques peuvent cependant varier entre les différents tissus normaux de l’organisme d’un même individu. Il s’avère donc difficile d’évaluer si les changements épigénétiques peuvent contribuer au développement de maladies impliquant le cerveau, comme la schizophrénie.
Pour pallier cette difficulté, le Dr Waterland et son équipe ont identifié un ensemble de régions génomiques spécifiques dans lesquelles la méthylation de l’ADN diffère d’une personne à l’autre mais reste cohérente dans tous les tissus de l’organisme d’un même individu. Les chercheurs ont appelé ces régions génomiques spécifiques « CoRSIV » pour « régions corrélées de variation interindividuelle systémique ». Les méthylations de l’ADN dans ces régions ont ensuite pu être analysées à partir d’échantillons sanguins, facilement disponibles. L’objectif étant de déduire l’existence d’une régulation épigénétique dans d’autres zones de l’organisme difficiles à évaluer, comme le cerveau.
Prédire le risque de schizophrénie avec l’apport de l’intelligence artificielle
Certes, de nombreuses études menées par le passé ont déjà analysé les profils de méthylation à partir d’échantillons sanguins. Néanmoins cette nouvelle étude se distingue par sa stratégie d’analyse innovante.
En premier lieu, cette étude s’est uniquement concentrée sur les régions génomiques spécifiques « CoRSIV ». Dans l’ADN des échantillons sanguins, l’équipe de scientifiques a ainsi identifié des marqueurs épigénétiques différents entre les patients atteints de schizophrénie et les personnes en bonne santé.
Cette étude s’est ensuite appuyée pour la première fois sur un algorithme d’apprentissage automatique pour analyser la méthylation de l’ADN. L’équipe a pu développer un modèle qui évaluerait la probabilité d’un individu d’avoir la maladie. Les scientifiques ont pu observer que cette méthylation de l’ADN au niveau des CoRSIV s’opérait très tôt dans la vie.
À savoir ! L’apprentissage automatique, également appelé apprentissage artificiel, désigne une forme d’intelligence artificielle. Il permet à un système d’apprendre à partir des données et non à l’aide d’une programmation explicite.
Cette étude a enfin pris en compte les principaux facteurs de confusion environnementaux pouvant potentiellement affecter les schémas de méthylation dans le sang. C’est le cas du tabagisme et de la prise de médicaments antipsychotiques, couramment retrouvés chez les patients atteints de schizophrénie. Les chercheurs ont pu observer que ces facteurs n’affectaient pas les schémas de méthylation.
Les résultats de ces travaux indiquent que les différences épigénétiques identifiées entre les patients atteints de schizophrénie et les individus en bonne santé existaient avant le diagnostic de la maladie. Ils suggèrent ainsi que ces différences épigénétiques pourraient contribuer au développement de la schizophrénie.
Cette nouvelle approche a permis aux chercheurs d’obtenir des signaux épigénétiques liés à la schizophrénie beaucoup plus forts que ceux obtenus par le passé. Ces résultats laissent aussi entrevoir la possibilité de prédire le risque de la schizophrénie plus précocement, voire d’appliquer cette nouvelle stratégie d’analyse à d’autres maladies. Convaincue de l’importance de ses travaux, l’équipe de scientifiques prédit que « se concentrer sur les CoRSIV rendra possible l’épidémiologie épigénétique ». Affaire à suivre !
Déborah L., Docteur en Pharmacie
– Epigénétique, un génome, plein de possibilité ! inserm.fr. Consulté le 18 novembre 2021.